Anna hanoum

[...] Anna jeta un oeil vers la cour. Le soleil du soir étirait les ombres grises des cheminées sur le dallage blanc des terrasses. Un mince filet de fumée s'élevait au-dessus des toits, portant dans la tiédeur de l'air des odeurs de pain frais. La dernière fournée avant la nuit. Anna s'éloigna de la fenêtre, vint s'asseoir sur le coffre. Son père arpentait la pièce, sa canne heurtait le plancher en cadence. Anna entendait des paroles de douleur et de haine ; c'était la voix de son père, c'était du crétois et pourtant c'était une langue inconnue d'elle. La certitude de la présence d'Ibrahim, presque à portée de regard, avait tout balayé. Seul existait ce bonheur violent, qui venait cogner très fort dans sa poitrine. Son père vomissait son impuissance et sa rage, mais Anna sentait palpiter à fleur de lèvres une chanson lente, et grosse de trop de mots d'amour qui jamais ne seraient dits. La haine n'avait plus de sens. Anna regardait son père s'agiter, elle avait envie de lui prendre la main et de murmurer doucement : allons nous asseoir sous le citronnier, ce soir l'air est si doux, et la nuit sent si bon... Elle soupira et ne dit rien [...]

Réthymnon, Crète, 1878-1889. Une île grecque sous l'empire ottoman : deux communautés, deux langues, deux religions s'entremêlent et s'affrontent dans un incessant combat. Entre oppresseurs et insurgés, entre musulmans et chrétiens, entre hommes et femmes, se tissent des douleurs et des joies, des cris et des silences, des mensonges et des vérités. Le roman d'un amour plus fort que la haine, d'une vie plus forte que la mort.